« Une étude ethnomathématique du dessin sur le sable du Vanuatu.
De l'ethnographie à la modélisation mathématique, regards croisés sur la pratique des Uli-Uli chez les Raga de Nord-Pentecôte. »
Le dessin sur le sable (sandroin en Bislama) est une activité culturelle pratiqué dans le centre des îles du Vanuatu, notamment les îles de Maewo, Pentecôte,Ambae, Ambrym, Malekula (ou Mallicolo), Epi, ou Paama. Elle consiste à tracer des figures le plus souvent symétriques, dans le sable ou dans la cendre. Moins que le résultat final, c’est la technique qui interpelle : l’expert dessine une ligne avec un doigt qui ne quitte jamais le sol, qui ne repasse jamais continûment sur une ligne déjà tracée et qui revient au point de départ.
La vidéo suivante est une captation réalisée au VKS (Vanuatu Kaljoral Senta), dans le cadre de mon travail avec les experts. J'ai développé une méthodologie dédiée pour collecter des dessins, qui respecte le principe bien connu des sociologues et des anthropologues d'entretien semi-directif.
En utilisant les méthodes classiques de l'ethnographie, j'ai fait 3 mois de terrains répartis entre le nord de Maewo et le nord de Pentecôte. Les sociétés de ces îles sont très traditionnelles, et parlent des langues vernaculaires (jusqu'à 3 ou 4 langues pour une seule île parfois). Le Bislama est une langue véhiculaire qui permet aux populations de cet archipel de plus de 80 îles de communiquer.
La richesse culturelle des sociétés du Vanuatu est prodigieuse, elle continue de susciter de nombreux travaux en anthropologie. Aucun travail de terrain n'avait cependant été entrepris pour interroger les relations du dessin sur le sable avec les mathématiques. Dans les années 80/90, Marcia Ascher a publié un article "Graphs in cultures: A study in ethnomathematics" sur la base de données de seconde main (i.e collectées par une autre personne).
Dans ma thèse, j'adopte trois postures :
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celle d'un anthropologue qui, sur la base d'un travail de terrain, va chercher à comprendre comment ces dessins s'insèrent dans la vie des sociétés dans lesquelles ils sont produits ;
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celle d'un mathématicien qui va chercher, à partir des toutes les règles implicites que l'ethnographie aura permis d'établir, à créer un modèle permettant d'explorer plus en profondeur les processus de mémorisation et de création de ces dessins ;
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celle d'un ethno-mathématicien qui cherche à faire le lien entre ces deux premiers aspects.
La modélisation que j'ai développée s'appuie sur deux théories : la théorie des graphes et la théorie des langages formels. Les mots sont écrits dans un alphabet fabriqués à partir de matrices à coefficients dans particulières dans ℂ.
Cette modélisation m'a permis d'écrire chaque dessin comme un code informatique. J'ai utilisé Python qui est actuellement un des langages le plus utilisé au monde.
Pour tester quelques outils développés dans la thèse, rendez vous sur mon Github :
https://github.com/nablanabla/Thesis
La puissance de calcul de l'ordinateur m'a permis d'expérimenter en amont de nombreuses configurations inconnus des praticiens puis de leur soumettre et observer leurs réactions et leurs discours. Ce que je nomme « configuration » est en fait un chemin eulérien particulier dans un graphe approprié que je nomme Gmod. Je ne rentre pas dans les détails, mais cela ressemble à ça :
L'idée maitresse que je développe est que cette approche permet de mettre au jour des idées mathématiques extrêmement élaborées. Notamment, j'ai démontré que les experts connaissent une série d'algorithmes et d'opérations permettant de les combiner et de les transformer leur permettant de créer de nouveaux dessins.
La programmation m'a aussi permis de créer des animations des dessins que j'ai collectés :